Rideau

 

"Chut...

 

Pas un bruit.

 

La salle attend, souffle suspendu, l'ouverture du rideau.

 

Discrètement je suis l'allée pour rejoindre ma place, oreilles aux aguets et anxieuses de ne pas tout entendre ; les yeux saluant partout les formes déjà présentes.

Les derniers murmures chuintent, vent léger d'automne dans les cheveux de feuilles d'une petite forêt. Avant le noir, j'observe l'assemblée. Les couleurs se chamaillent et se disputent. Les gredines cherchent toutes la faveur de mon regard. Je ne sais que choisir. Le rouge, l'ocre, le doré, le jaune safran ? Le brun foncé, le noir, le marron chataigne ? Le vert sapin ou de jade ?

Je tourne la tête et mes pensées plongent en un instant dans le bleu d'océan de tes yeux douceur. J'ai choisi ma couleur...

 

 

 

Je me retourne vers le rideau d'ombres. Je distingue la lumière, franche, éblouissante, qui filtre par endroits. Elle m'attire, m'intrigue et m'impressionne en même temps. Je prends ta main. Ou alors c'est toi qui prends la mienne ?

 

 

 

Chut.

 

Le rideau s'ouvre lentement.

 

La lumière est vive et emplit l'espace, généreuse. Puissante. Je ne vois rien, d'abord. Et puis le décor se détache.

 

 

 

Dans ma poitrine, un cri de joie silencieux déploie ses ailes. Je découvre et dévore le paysage paisible déposé là. Un prince vêtu de gris et d'or paresse et s'alanguit. Il est entouré de ses dames, vêtues de robes émeraude, si belles sous la lumière que j'en détourne le regard. Je ferme mes paupières. Derrière ces volets fins, le paysage reprend ses marques.

Je rouvre les yeux.

 

 

 

Chut.

 

Le prince gris est devenu étang. Paresseux, il arrondit le ventre et laisse les rayons du soleil sautiller sur sa peau. Des insectes minaudent et se mirent dans ses yeux. D'autres, espiègles, jouent à chatouiller les moustaches des poissons qui se devinent sans peine sous la surface huileuse. Bulles, ronds dans l'eau, sillons et gerbes de gouttes offrent à mon regard un ballet gracieux. Les dames aux beaux atours sont des feuilles au vert tendre, rejointes par des milliers d'autres, dorées et pourpres. Elles font la révérence sous la caresse de la brise et saluent de la tête le soleil descendant. Lui,en retour, leur sourit et cajole leurs nuques frêles de son souffle encore chaud.

 

 

 

Il me semble être assise sur un coussin de feuilles mortes. A mes côtés, tu es là, le regard tourné vers cette scène magnifique. Et tu sembles y trouver la même saveur que moi... L'océan de tes yeux mêle son eau à celle du Père étang qui ronronne tranquille sous le soleil d'octobre. Je souris de te voir partager ce moment puis retourne mon regard vers le théâtre vert. De gros nuages blancs s'amusent à prendre des formes d'éléphants à lunettes ou de soucoupes volantes pour faire rire les grenouilles qui s'en donnent à cœur joie.

 

Le soleil me chauffe la joue.

 

Ah non, tiens... C'est la paume de ta main...

 

 

 

Chut.

 

Je ferme les yeux à ce contact. L'oiseau de joie, dans ma poitrine, fait une double pirouette. J'embrasse à l'aveugle la paume de ta main, y blottis mon front, ma joue. Mon cou.

 

 

 

Un bruit inattendu accroche mes oreilles. Des pas. Ici ? Maintenant ? Une voix vieille, éraillée et surprise m'interpelle.

 

 

Nous ne sommes plus que deux spectateurs perdus dans nos images.

 

 

 

Chut.

 

Le rideau s'est refermé.

 

La salle va s'éteindre.

 



 

Je me lève et reprend l'allée pour rejoindre le monde. L'autre, celui que j'ai laissé à la porte de l'opéra de verdure. Un dernier regard à l'étang et ses merveilles. Un nouveau regard vers toi. Le bleu d'océan de tes yeux fait pépier tendrement l'oiseau qui s'endort dans ma poitrine.

 

 

 

Je prends ta main.

 

Ou alors c'est toi qui prends la mienne ?"

 

Octobre 2014

 

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